Le fils prodigue (suite et fin)

Catégories : Paroles de dimanches

Luc 15.20,22-24

On pourrait appeler cette parabole « L’accueil du père », ou « La parabole de l’amour du père ».
On remarque l’expression du visage du père : un peu fatigué, généreux. On voit ses vêtements, sa posture, le geste de ses mains.
C’est un vieillard qui exprime toute la compassion et le pardon infinis de Dieu pour ses enfants. Rembrandt va bien au-delà de la caricature de Dieu (vieux, barbu).

Les mains sont différentes l’une de l’autre, ce n’est pas un hasard.
La main gauche paraît forte et musclée, les doigts sont écartés, la main couvre une partie de l’épaule du fils fatigué. C’est une main virile qui touche et soutient.
La main droite est féminine, plus délicate, plus raffinée, plus douce. C’est plutôt la main d’une mère.
Ce père n’est pas un patriarche barbu. C’est un père qui pourrait aussi symboliser l’amour d’une mère. D’une main il soutient et confirme, de l’autre il console.
En Dieu se trouvent la paternité et la maternité.

 

Esaïe 49.15
« Une femme oublie-t-elle son nourrisson ? N’a-t-elle pas compassion du fils qui est sorti de son ventre ? Quand elle l’oublierait, moi je ne t’oublierais pas. »

On voit là l’aspect maternel de Dieu.

La cape, belle, chaleureuse, chatoyante, est comme une arche sous laquelle le fils vient se blottir, se réfugier. Elle rappelle aussi les ailes d’une poule, image citée par Jésus.

 

Matthieu 23.37-38
« … combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes ! Mais vous ne l’avez pas voulu ! »

 

Psaume 36.8

« A l’ombre de tes ailes les humains trouvent un abri. »

 

Psaume 91.4
« Il te couvrira de son plumage, tu trouveras un abri sous ses ailes. »

Jour et nuit, en Dieu je peux être à l’abri. C’est un peu mystérieux, mais dans le sens beau du mystère : un Dieu père et aussi une mère, toujours engagé pour ses enfants. Il éprouve de la douleur quand ces derniers le quittent, et une joie complète lorsqu’ils sont rentrés à la maison et sont rassemblés autour du festin. Ces enfants rassemblés incluent le fils aîné.
Quand le fils aîné refuse de rentrer, le père sort et le supplie d’entrer aussi. Quand le père nous accueille, il nous accueille tous sans nous comparer les uns aux autres.

Le père n’oublie pas le fils aîné qui se croit moins aimé et interprète mal la joie du père.
On est dans une société où on compare, on classe (notes, points… dès l’école), on fait des statistiques. Tout le monde se compare. Beaucoup de nos fausses joies et sécurités viennent de là, et aussi nos tristesses quand on se compare à quelqu’un de « mieux » que nous.
Dieu ne fait jamais de comparaisons. Nous croyons cela, mais ce n’est pas si simple d’en être toujours convaincu.
Ceci nous rappelle la parabole des ouvriers de la dernière heure (Matthieu 20.1-16) : tous les ouvriers ont eu la même rémunération, et les derniers venus l’ont eue en premier. Les autres ont ressenti cela comme une provocation. Mais cette parabole montre que Dieu n’a pas envie d’être considéré comme un patron. Je peux participer à sa joie, à son travail (sa bonté, sa compassion). Le propriétaire symbolise Dieu, et le père de notre parabole : « Pourquoi être envieux de ce que je suis généreux ? » « Tout ce qui est à moi est à toi ».
C’est un appel à convertir nos coeurs, à ne pas regarder avec les yeux de la comparaison, de la compétition, mais avec les yeux du coeur de Dieu. Dieu espère voir ses deux fils ensemble autour de la même table, malgré leurs différences, faire l’expérience d’une « même couvée ».

Dans toutes nos expériences, on pense chercher Dieu et l’avoir choisi, mais en fait c’est lui qui nous choisit bien avant notre naissance. Beaucoup cherchent à le trouver dans différentes religions, philosophies, prières, dans l’ascétisme… Mais la question est plutôt : » Comment je vais me laisser trouver par lui ? »
Luc 15.3-10 : paraboles de la brebis et de la drachme perdues. L’initiative est dans les mains de Dieu.
Le berger laisse tout son troupeau pour retrouver sa brebis perdue. Le père accueille son fils cadet, mais aussi son fils aîné.
On ne voit plus Dieu comme celui qui se cache et peut rendre notre recherche difficile. C’est Dieu qui nous cherche et nous qui rendons sa recherche difficile.

Puis-je accepter que je vaux la peine d’être cherché ? Il y a là quelque chose qui touche au combat spirituel, au combat du rejet de ma propre personne : « je suis inutile, une quantité négligeable… » Il faut lutter pour se dire qu’on a du prix aux yeux de Dieu, que son amour est premier et éternel.
Nous pouvons aussi tomber dans un piège : on considère que ce n’est pas si mal d’avoir une mauvaise image de soi, que c’est même une vertu pour éviter l’orgueil.
Mais c’est un mensonge que l’ennemi nous donne à croire. Le péché, c’est nier l’amour de Dieu pour moi. cela nous fait nous cacher alors que Dieu nous recherche.
Nous n’arrivons pas à être sûrs d’être aimés tels que nous sommes. C’est un défi pour nos vies d’accepter l’amour de Dieu qui existe bien avant que je sois conçu et existera toute ma vie.

Comment le père organise une fête

C’est la fête du retour. On voit que le père est riche, mais aussi souffrant de nos absences, départs, jalousies. Il est riche en bonté.
Empressé de pardonner à son fils, il court vers lui, et ne le laisse pas parler. Il ne peut attendre pour le restaurer dans son état de fils. Rien n’est assez beau pour lui. Et pourtant le fils s’apprêtait à lui dire : »Je ne suis plus digne… » Le père revêt son fils de vêtements d’apparat, lui met son anneau, le rechausse. Il lui fait retrouver sa dignité.
Le père veut une fête grandiose. Il y a abondance de nourriture, la musique résonne même au dehors de la maison et nous invite à la joie.
Nous trouvons plusieurs fois dans la Bible l’image d’un joyeux banquet. (par exemple dans Matthieu 22). C’est l’invitation à partager le banquet de noces, l’invitation de Dieu à partager son intimité. Dieu offre le pardon, la réconciliation, la guérison, la joie à partager.

Rembrandt dépeint le fils aîné comme distant et les autres personnages comme mitigés. On ne sait pas s’ils vont se laisser toucher par la fête ou pas.
Et moi, j’en suis où par rapport à l’invitation ?
Parfois il y a en nous une résistance à la vie joyeuse.

Dieu se réjouit, même si dans le monde tout ne va pas bien, malgré les famines, les guerres, les douleurs, les problèmes pas réglés. Si un enfant perdu rentre, Dieu se réjouit.
Nous sommes aussi appelés à nous réjouir, même si nos problèmes ne sont pas réglés. Nous nous réjouissons les uns par les autres des petits signes du royaume de Dieu dans nos vies (un pardon…). Nous sommes invités à nous réjouir.
Dans la perspective de Dieu, un petit geste d’amour, un pardon, ont une grande valeur, comme si Dieu descendait de son trône et venait organiser une fête avec nous.
Si Dieu agit ainsi, je suis invité à faire taire les voix qui condamnent et maintiennent dans le fatalisme. Nous ne sommes pas appelés à appartenir à ce monde-là. Il faut choisir entre le cynisme et la joie.
Jésus est confronté au monde, aux ténèbres, mais il est toujours dans la joie de son Père. Jésus est à la fois l’homme de douleur et de la joie parfaite, malgré les souffrances et les injustices qu’il a vécues. Il est possible de vivre les deux à la fois.

 

Jean 15.11
« Je vous ai parlé ainsi pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète. »

Nous sommes appelés à faire cet effort de nous laisser trouver, de nous laisser offrir des sandales, de nous laisser ôter le masque de tristesse dans nos vies. Nous sommes appelés à évoluer, à grandir.
L’enfant doit devenir adulte, car symboliquement il deviendra père à son tour. Nous sommes, en effet, appelés à devenir des pères, des mères.

Il est facile de s’identifier aux deux fils, au cadet qui se repent, et à l’aîné qui est invité à laisser sa rancune.
La prochaine étape consiste à devenir semblable au Père.

 

Luc 6.36
« Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux. »

Nous voyons la vulnérabilité du père, son amour inconditionnel. Nous sommes appelés à cela. Dans mon cheminement, il me faut choisir de quitter l’enfance et devenir un père ou une mère pour d’autres.
Les deux fils me ressemblent. Par contre, il est plus délicat de réaliser l’appel à être père, celui qui accueille. Souvent il y a des freins qui nous pousseraient à rester infantiles, immatures. (Dans les publicités nous sommes souvent ramenés à notre état d’enfant).

 

Romains 8.16-17
« L’esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Or si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers… »

Si nous sommes destinés à être les héritiers du Père, nous sommes aussi destinés à offrir ses richesses aux autres. Que la vie de mon Père céleste devienne ma propre vie est un vrai défi. Il faut un mûrissement spirituel. On mûrit pour être toujours meilleur, pas pour pourrir.

Osons accueillir nos « enfants », étendre nos mains, devenir semblables au Père : c’est le coeur du message de l’Evangile. C’est une compassion qui exclut toute trace de comparaison. Il faut aller jusqu’à aimer nos ennemis.

Chez le vrai Fils, toute gloire, puissance, compassion, respect de Dieu demeurent. Jésus est le fils cadet, mais sans révolte. Il est le fils aîné, mais sans rancune.

Une petite graine de moutarde est insignifiante, mais l’amour de Dieu fait qu’elle peut devenir un bel arbre qui croît et est destiné à accueillir les oiseaux du ciel (= les autres).
Développer la paternité et la maternité spirituelles est un processus qui prend du temps, on comprend toujours mieux, toujours plus intimement. Vivre cela implique que je sois bien dans la maison de mon père, que je me sente accepté et m’accepte moi-même comme quelqu’un d’aimable, que je me laisse toucher et guérir.
Alors les deux fils qui sont en moi peuvent être transformés en un père compatissant qui accueille et se réjouit des petites victoires de chacun et a de la compassion pour leurs difficultés.

Didier Benkemoun