Le fils prodigue (suite)

Catégories : Paroles de dimanches

Luc 15.11-32

Nous allons nous concentrer davantage cette fois sur le fils aîné, probablement représenté par le personnage qui se trouve à droite du tableau (même si les biographes du peintre ne le disent pas). Il est debout, observe un peu à distance.
Beaucoup pensent en effet que Rembrandt n’a pas voulu peindre simplement une scène évangélique mais symboliser sur ce tableau tout le conflit, le combat spirituel, le drame intime de l’âme humaine, le sien, mais aussi le nôtre.
Cette parabole synthétise à elle seule le message de l’Evangile et invite à faire un choix. Il y a une lutte spirituelle en nous qui nous invite à nous positionner.

A travers toutes les épreuves que Rembrandt a vécues, il a pu comprendre la démarche du fils prodigue. Rembrandt a perdu beaucoup de temps en procès, en conflit avec ses mécènes, ses proches (il a même fait interner l’une de ses femmes par un faux témoignage). Il a vécu une vie où la perdition du fils prodigue ne lui était pas étrangère.

Dans cette parabole, on voit que les deux fils avaient besoin de guérison, de pardonde l’étreinte d’un père miséricordieux.
La conversion la plus difficile à opérer est celle du fils aîné qui est demeuré à la maison.

Le départ du fils aîné (Luc 15.25-30)
Quand la fête bat son plein, le fils aîné rentre des champs. Il regarde la scène sans joie. Qu’est-ce qui peut bien se passer dans son coeur ?
Sur le tableau, il ressemble plus à son père physiquement que le fils cadet. Tous les deux ont une cape rouge (signe de dignité, de noblesse peut-être). Les traits de visage sont similaires. Mais on voit une différence d’attitude : le père est penché, sa cape largement ouverte, tandis que le fils aîné est debout, appuyé sur sa canne, figé, sa cape le long du corps. Les mains du père sont étendues et touchent le fils cadet, celles du fils aîné sont serrées l’une contre l’autre et restent dans l’ombre.

Cette parabole aurait pu s’appeler « Parabole des deux fils perdus« .

Extérieurement, le fils aîné a fait tout ce qu’un bon fils est sensé faire. Mais intérieurement, il s’est éloigné de la maison du père. Il s’est perdu dans sa rancune.
La perdition du fils cadet est évidente, celle du fils aîné est plus difficile à cerner : il est obéissant, travailleur, c’est un fils modèle qu’on loue sans doute comme un bon fils.
Mais lorsqu’il est confronté au retour de son frère et à la joie de son père, une personne rancunière, amère et orgueilleuse se dévoile.

Comment ce fils peut-il me ressembler ?

Dans sa plainte on dirait que l’obéissance et le devoir ont été vécus comme un fardeau.
Quand on regarde nos fausses routes, on peut se demander : « Qu’est-ce qui m’a fait le plus de tort : le ressentiment ou les erreurs que j’ai commises, comme le fils cadet ? »
Le ressentiment parmi les justes, les vertueux, est bien présent : préjugés, colères froides.
Cette perdition du fils aîné est intimement liée au désir d’être bon, de plaire à Dieu.
Pour le fils aîné, le retour de son frère est la preuve que tout ce qu’il a fait n’a servi à rien parce qu’il est moins aimé que son frère. Le fils aîné est sans joie, accuse son père, montre sa jalousie et veut attirer la pitié sur lui.
Il ressent qu’il n’a pas reçu ce qu’il pense qui lui était dû. C’est une plainte universelle, nous sommes tous confrontés à ressentir cela un moment ou à un autre. (Je n’ai pas reçu ce que d’autres obtiennent facilement alors qu’ils ont fait moins d’efforts que moi…)
La plainte du fils aîné peut souvent être la nôtre, qu’elle soit verbalisée ou non. Elle nous fait ressembler au filsaîné. Quelques exemples : « Il ne m’a pas dit bonjour aujourd’hui, il a fait comme si je n’existais pas. Il n’a pas eu envers moi l’attention que j’aurais aimée recevoir… » Tout cela suscite vite des murmures et des gémissements ; plus nous nous attardons à cela et y prêtons attention, plus ça s’aggrave, conduisant à l’apitoiement sur nous-mêmes, à la condamnation des autres et de soi-même (au rejet : « Je ne vaux pas grand-chose »).
Nous sommes entraînés dans un cercle vicieux, un labyrinthe intérieur de plaintes, et au lieu de retrouver la maison du père nous sommes entraînés dans des chemins qui nous en éloignent. Nous nous sentons rejetés même dans notre propre communauté, vis-à-vis de Dieu.

Le fils rentre, la fête a commencé. Il le savait, il avait entendu. Mais toute spontanéité lui est ôtée parce qu’il est tout de suite soupçonneux. Il éprouve de la peur : il n’a pas été averti, il craint d’être écarté de ce qui se passe. Combien de fois nous pouvons vivre ce genre d’attitude : « Je n’ai pas été prévenu ».
Le serviteur est tout content (v.27). Mais le fils ne peut pas recevoir cette joie qui ne peut coexister avec la rancune.

Rembrandt a symbolisé tout cela : la lumière qui enveloppe le père et le fils cadet, alors que l’aîné reste dans l’ombre. Il refuse d’entrer dans la maison pleine de lumière.

Est-ce qu’on peut imaginer que le père a persuadé le fils d’entrer ? A-t-il embrassé son frère ? Convaincu de son propre péché, s’est-il aperçu qu’il n’était pas meilleur que son cadet ?

La parabole nous laisse aux prises avec un choix personnel et difficile : faire ou ne pas faire confiance à ce père miséricordieux.
Dans ce chapitre 15 de Luc, Jésus répond à la critique des pharisiens qui le traitent de glouton. Jésus propose cette parabole du fils prodigue en réponse. Il les confronte au retour du fils prodigue et à la réaction du fils aîné. C’est comme s’il leur lançait un défi : « Où êtes-vous là-dedans ? »
Ce défi est pour nous aussi.
Il est plus facile de nous repentir d’une mauvaise action, car nous avons un accès direct à la maison, la main tendue de Dieu est là.
Mais après une colère froide teintée de jalousie, de condamnation, ce n’est pas évident, pas facile de reconnaître le besoin de repentir, car c’est sournois. Il y a le désir de bien faire (« je suis obéissant… »), et pourtant mes plaintes sont rattachées à ces qualités louables. Je peux agir avec ce que je pense être généreux en moi, et en même temps avoir du ressentiment et de la colère. Par exemple, on se surprendra à essayer de tirer profit de ses qualités pour être mieux aimé. On fera le ménage, et en même temps on se demandera pourquoi les autres n’en font pas autant.

Je peux réaliser que je touche là à ma vraie pauvreté car je suis incapable d’arracher ce sentiment ancré en moi.Comment l’arracher sans arracher en même temps le bon en moi?
Le fils aîné en moi ne souhaite-t-il pas rentrer dans la maison où règnent les sons joyeux et la lumière ? Est-ce que je ne veux pas me laisser trouver par Dieu ?
Comment revenir quand je suis dans le ressentiment et la colère ?
Je ne peux être guéri que par Dieu seul qui sort de sa maison et court vers moi.

Le fils aîné est perdu tout autant que l’autre, mais il y a une grande possibilité pour qu’il retourne.
Le père sort (v.28)
La bonne nouvelle (v.31), c’est que le père souhaite tout autant le retour du fils aîné qui a besoin d’être ramené à la maison.

La parabole ne sépare pas les deux frères en « bon cadet » et « mauvais aîné ».
Le père n’impose rien ni à l’un ni à l’autre, mais il est prêt au moindre signe de retour. Je suis libre de refuser la guérison, mais devant moi tout est prêt : la lumière, le pardon, la fête. L’amour de Dieu ne dépend pas de notre repentir, son pardon est prêt.Dieu n’aime pas davantage le cadet que l’aîné.
Le père est dans la fête, mais il sort quand il se rend compte que le fils aîné n’est pas rentré. Il fait la même démarche que celle qu’il avait faite pour le fils cadet : il sort.

Quand je ressens de la rancune, de l’apitoiement sur moi-même, je devrais faire attention à ces paroles pour qu’elles me changent : Dieu m’appelle « mon fils », « ma fille ».
Il n’y a aucun reproche, aucun jugement, pas d’accusation. Le père ne rentre pas dans la polémique avec son fils. Il lui dit : « Tu es toujours avec moi », c’est-à-dire sur mon coeur ; ton nom est inscrit sur les paumes de mes mains. C’est une déclaration d’amour inconditionnel.

Le même amour est offert aux deux fils. C’est cet amour qui peut faire qu’en le réalisant le fils aîné peut renoncer à son attitude. Le père ne compare pas, il les accueille tous les deux.
Jésus a dit : « Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon père » (Jean 14.2). Chaque maison nous ressemble et est différente, mais chacun y a une place unique. Donc je dois renoncer à toute comparaison, rivalité, compétition. (« Il est mieux, davantage béni…  » je me compare à mon frère, je reste dans l’ombre, comme le fils aîné). Cela nécessite la confiance, un pas de foi.
Dieu m’invite à entrer dans la lumière, à voir mon frère comme étant différent de moi mais aimé comme moi.
Les autres peuvent facilement être perçus comme des rivaux (même dans l’église), alors qu’on a les mêmes défauts, qu’on n’est ni mieux ni moins bien.

Le sentiment d’être moins aimé révèle une blessure profonde. Ne nous condamnons pas nous-mêmes quand nous sommes victimes de ce genre de pensée.
Derrière la réaction du fils aîné, il y a sûrement une blessure profonde. Il ne peut accepter son frère : « ton fils que voici » (v.30).
Le fils aîné est perdu et devenu un étranger dans sa propre maison. Il n’y a plus de communion possible. Les péchés ne peuvent être avoués, tout devient suspect, chaque remarque est analysée : c’est la pathologie des ténèbres.

Comment en sortir ? Pas par soi-même. Je suis perdu et il faut que je sois retrouvé par le berger sorti à ma recherche. J’ai besoin d’entendre le père qui me dit : « Tout ce que j’ai est à toi ». J’ai besoin d’accueillir l’amour, de le recevoir.

L’arme de la confiance et l’arme de la reconnaissance
Chacun d’entre nous dans sa vie se retrouvera un jour ou l’autre confronté à la position du fils aîné. Quand on veut plaire, gagner l’estime et que celle-ci ne vient pas, on ressent de l’amertume.
Mais Dieu veut nous trouver.
De notre côté, il nous faut reconnaître que nous sommes perdus et avons besoin de nous laisser trouver.Mais si nous sommes encore dans l’amertume, un effort de confiance et une vraie discipline seront nécessaires pour la conversion du fils aîné en nous. Il nous faudra la conviction que le père veut notre retour. Tant que je me crois moins aimé et que je me rabaisse, je ne peux pas être trouvé.
J’entends la voix de Dieu qui me dit : « Je t’aime, je te cherche, arrête ta jalousie, rentre à la maison. » Et en même temps, une autre voix me dit : « Tu n’es pas digne, tes péchés ne sont pas spectaculaires, ils sont moins pardonnables que les autres… » Il y a un combat spirituel dans nos vies. Parfois nous avons besoin d’une personne qui nous aide à décrypter ces voix, à voir la lumière de Dieu.

La reconnaissance affirme que toute vie est un don de Dieu. Nous sommes face à un choix. On a toujours un choix de reconnaissance et de confiance parce que Jésus est apparu dans notre nuit et nous supplie de rentrer à la maison. Nous avons le choix de continuer d’habiter les ténèbres, de nous lamenter sur nos malheurs passés.

Je dois faire l’effort de me sortir de moi-même. Je prends le risque de la foi. J’aime et je donne sans attendre de retour. Je fais quelque chose sans m’attendre à des remerciements.
Chaque fois que je fais un petit pas dans ce sens, je m’aperçois que le Seigneur, qui sort de sa maison pour me chercher, me rencontre.
Didier BENKEMOUN