Le fils prodigue

Catégories : Paroles de dimanches

Luc 15.11-32

Rembrandt, peintre hollandais du 17ème siècle, a peint « Le retour de l’enfant prodigue », toile de 2m50x2m, en 1968, un an avant sa mort. C’est une de ses dernières toiles, aboutissement d’une vie pleine de tourments.
Henri Nouwen a écrit « Le retour de l’enfant prodigue » en méditant sur sa propre vie et sur ce tableau.

Rembrandt s’est beaucoup « auto-portraitisé ». C’était un jeune homme orgueilleux, un fêtard qui a dissipé ses biens. Il avait les caractéristiques du fils prodigue : arrogant, dépensier, sensuel. Il était convaincu de son propre génie, aimait le luxe, l’argent. Dans ses tableaux il y a beaucoup de lumière, de chatoiement des couleurs, de clinquant.
Sa période de popularité et de richesse a été suivie par des désastres. En cinq ans, il a perdu trois enfants sur quatre, et sa femme (seul un fils de 9 mois lui est resté). Il s’est remarié, a eu encore des enfants, mais la même chose s’est reproduite. Seule une fille lui survivra. Sa popularité s’est aussi effondrée.
En 1657 tous ses biens ont été vendus aux enchères. En 1668 il a perdu son dernier fils.

Sur le tableau, quand on regarde le fils à genoux devant son père, on imagine le chemin parcouru par l’artiste, qui se rend compte que toute la gloire recherchée pour soi-même est vaine. On pense que c’est son portrait qu’il a fait. Il n’y a plus d’habits de luxe, mais une tunique déchirée, ses pieds sont meurtris. La lumière n’est plus aussi clinquante qu’avant.
Peu à peu on voit une lumière plus intérieure, la lumière du vieil âge. Par un mouvement de l’esprit, Rembrandt est passé de la recherche de la gloire et de la richesse à celle de la réconciliation, de la paix intérieure, du pardon.

On peut se laisser rejoindre dans nos propres vies à travers les personnages de ce tableau et le texte de Luc.
On voit la tendresse du Père qui touche son fils et le serre contre son cœur.
On peut ressentir combien ce fils perdu peut être chacun d’entre nous. C’est comme une invitation à désirer être touché, accueilli, embrassé comme ce fils.
On peut se demander en quoi et comment je ressemble au fils aîné qui se drape dans le mépris, la jalousie, la colère, qui a l’impression d’être quelqu’un de bien.

En tant qu’enfants de Dieu, nous sommes tous appelés à ressembler au Père, à acquérir cette même compassion qui accueille, qui aime sans conditions, à entrer dans le chemin de la paternité spirituelle.

Aujourd’hui nous allons surtout parler du fils cadet.

La parabole se situe à un moment où Jésus explique pourquoi il mange avec les pécheurs (cela lui était en effet reproché).
Dans le titre du tableau, on parle du « retour », donc auparavant il y a eu un départ.
Le père accueille son fils avec tant de bonheur parce qu’il était parti. La joie de cette scène cache la douleur immense qui l’a précédée, l’absence cruelle.
C’est seulement si j’ai le courage d’explorer ce que signifie quitter la maison du Père que je peux comprendre ce que c’est d’y retourner.Le fils avait dit à son père : « donne-moi la part de fortune qui doit me revenir » (v.12). Ensuite, il est parti. Cela semble presque simple… Mais cette demande n’a rien de normal : c’est comme si le fils souhaitait que le père ne soit plus là. Bien au-delà d’un simple caprice, il s’agit d’une offense : lerejet de la maison où il est né, des valeurs enseignées.Ce fils part « pour un pays lointain » (v.13). C’est bien plus que le désir de découvrir le monde, c’est une coupure radicale, comme une trahison des valeurs familiales et spirituelles qu’il a reçues. C’est partir dans un monde dans lequel ce qui est sacré, pur, est rejeté, ridiculisé.
Il n’est pas facile de s’identifier à ce fils cadet, à une telle rébellion.
Mais si je regarde ma vie, je découvre toutes les choses plus ou moins subtiles qui me font préférer ce pays lointain à la maison toute proche. Je peux quitter spirituellement la maison où j’habite, où j’ai mon héritage.
En laissant émerger les expériences à la lumière du Saint-Esprit et de l’amour de Dieu, on voit combien celles du fils prodigue peuvent être les nôtres.

La main du père sur le fils illustre la bénédiction du Père, son pardon, son accueil, une paix durable. Les marques d’affection du Père sur moi sont telles que je peux m’ouvrir à l’expérience de me rendre compte combien je peux devenir sourd et aveugle, refuser la réalité que j’appartiens à Dieu, qu’il me tient en sécurité, que je suis caché à l’ombre de ses ailes, oublier que c’est Dieu qui m’a façonné : c’est cela, quitter la maison.
C’est vivre comme si je devais trouver la sécurité et un sens à ma vie, et chercher, alors que je viens de les quitter.Dans mon propre cœur, je peux entendre Dieu me dire : « Tu es mon fils (ma fille) bien-aimé (e) ». C’est ce que Jésus a entendu lors de son baptême et pendant la transfiguration.
Quand j’entends cette voix, je sais que je suis à la maison. Alors, je peux lutter, confronter, reprendre et encourager, sans avoir besoin de craindre les autres. Je deviens fort pour agir.
Et pourtant, combien de fois je me suis enfui de cette étreinte, de cette sécurité. Combien de fois je suis sourd à la voix qui me dit : « Tu es mon fils (ma fille) bien-aimé (e) ». C’est une voix douce et subtile qu’on entend au fond de son cœur. Comme pour Elie (1 rois 19), la voix de Dieu n’était pas dans des choses spectaculaires, mais dans une brise légère.

Je peux entendre d’autres voix, qui sont bruyantes, de fausses promesses par exemple. (Comme Jésus dans le désert). Des voix qui me disent : « Va, prouve que tu es quelqu’un ». Ces voix remettent toujours en question notre sécurité intérieure, le fait d’être aimé inconditionnellement. Ces voix sont dans notre cœur et commencent parfois dès l’enfance, quand, par exemple, l’amour des parents est conditionné aux résultats scolaires. Plus tard, quand nous sommes adultes, l’amour peut être conditionné à notre compte en banque, à nos relations…
Mais tant que nous sommes reliés à la voix qui nous appelle « mon (ma) bien-aimé(e) », ces autres voix n’ont pas de pouvoir.
Si nous faisons la relecture d’une journée, pendant combien de temps restons-nous attachés à cette voix et combien de temps sommes-nous dans ces anciens pièges dans lesquels nous sommes tombés ? (Peur de ne pas être à la hauteur, ruminer sur ma solitude, rêver de plus de puissance, de reconnaissance…) Toutes ces émotions sont parfois comme des montagnes russes et révèlent combien fragile est notre conviction d’être les bien-aimés (es) de Dieu.

Malgré mes révoltes et mes trahisons, la bénédiction reste toujours disponible. Les mains du Père sont toujours là, prêtes à être de nouveau posées sur moi. Je suis toujours son bien-aimé, même si je suis parti en terre étrangère.
Mais le Père ne nous force jamais. Je suis tellement aimé que je suis complètement libre de me détourner. Mais le Père est là, bras tendus.

Le fils a quitté sa maison plein d’orgueil et bourré d’argent. Il revient pauvre (v.14). Sa santé, son honneur, son respect de lui-même, tout a été sacrifié. Ses vêtements ne sont plus que des sous-vêtements, il a la tête rasée, sur le tableau. Ses haillons masquent mal ses blessures. Son pied gauche est bardé d’une cicatrice, il a au pied droit une sandale déchirée. Il ne lui reste plus que son épée, symbole de sa noblesse ; grâce à elle, il a l’identité de fils.

Dans cette terre étrangère, il a perdu sa sécurité intérieure. Déboussolé, il est une proie facile, il a été attiré vers plein de choses.
Quand ce fils a tout perdu, il a vu qu’il n’y avait plus personne pour prendre soin de lui. Il n’est plus considéré comme un être humain, il se surprend même à envier la condition des porcs (v.16)
Il « rentra en lui-même » : il médita sur sa vie, son état intérieur. Il se rend compte qu’il est toujours l’enfant de son père, même s’il a perdu sa dignité de fils.
Il prend alors une décision : »Je vais partir, j’irai chez mon père » (v.18). La perte de tout le ramène au coeur de son identité.Cette réalité fonde le choix que Dieu met devant tout homme.
Deut.30.19 : « Choisis la vie… »
Le choix est à faire chaque jour.
Judas et Pierre se sont perdus, ont quitté la maison. Judas s’est ensuite pendu, et Pierre est revenu en larmes. Pierre a choisi la vie. Le choix est toujours devant moi.
Je peux discerner l’influence du pouvoir de la mort dans mon coeur (« Je ne sers à rien », « Je ne suis pas aimable », « Je suis un fardeau »…). Bien souvent, ces idées prédominent dans le coeur des gens, et mènent quelquefois au suicide.
Mais nous, combien de fois pouvons-nous nous suicider spirituellement, en choisissant la terre étrangère ?
Il faut alors retourner vers celui qui m’offre son amour, refaire le chemin.

Cela n’a pas dû être simple pour le fils prodigue. Cela a dû lui demander beaucoup d’efforts. Il s’est sans doute dit : « Comment mon père va-t-il m’accueillir ? Je devrai m’expliquer… » Il émet des doutes sur la façon dont son père va le recevoir. Il est prêt à être traité comme un serviteur.
Romains 5.20 : « la grâce surabonde« . Ces mots indiquent une croyance dans le pardon total, absolu. Mais ce n’est pas évident de croire au pardon complètement gratuit.

Le fils se met en route, il avance, mais sa tête est pleine de confusion. Il se sait fils mais a perdu sa dignité. Il est un peu tourné vers lui-même lors de ce retour, bien qu’il pense au repentir. Il se dit : « Ca va me permettre de rester en vie », il espère que la punition ne sera pas trop dure. Cela montre qu’il voit encore le père comme un juge dur et sévère.
La soumission à un tel Dieu ne crée pas une véritable paix intérieure.

C’est un défi d’accueillir ce pardon de Dieu. On est plus enclin à s’accrocher à son péché, à trouver que c’ est dur d’être vraiment pardonné. La faute est si grande qu’on ne peut pas l’être. On insiste pour conserver la position de journalier. Etre pardonné me fait peut-être peur, à cause de la responsablité de fils (plus noble et plus exigeante que la condition d’esclave).

Didier Benkemoun